« Soutenons les engagements du Grenelle afin de pouvoir sauvegarder notre atout du nucléaire civil… »
Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire de la CGT.« Face à la hausse du prix du pétrole, je conseille aux Français de faire du vélo. »
Christine Lagarde, ministre de l’économie et de la simplicité volontaire.
D’un Grenelle à l’autre
Mai 1968 : des dizaines de millions de personnes cessent de travailler ; des usines et autres lieux sont occupés ; l’État a peur ; une idée de la révolution s’est propagée et a commencé à bousculer les vieux autoritarismes. Juin 1968 : les accords de Grenelle viennent remettre dans l’ordre les choses et les idées. De révolution, il n’est plus question, l’heure est à la réforme, à l’élargissement du processus cogestionnaire. C’est grâce à lui que l’État se présente comme l’arbitre neutre qui transcende les intérêts de classe. Les syndicats sont les vrais gagnants de l’histoire ; ils reprennent la main sur le mouvement social qui les avait désavoués et parfois dépassés. Ils obtiennent en échange davantage de droits de représentation, avec le pognon qui va avec, dans les entreprises et les institutions étatiques. Le paritarisme, créé à la Libération, s’impose encore plus.
Automne 2007 : le « Grenelle de l’environnement » présenté officiellement comme une vaste consultation de la « société civile » – comme si elle avait, un jour, existé en dehors de l’État – se termine après beaucoup de tintamarre médiatique, de publicité institutionnelle et d’envolées enthousiastes. Il s’est agi « d’élaborer une vingtaine de mesures fortes qui inscrivent le développement de la France dans une perspective durable ». Pour faire vivre ces gros mots, six groupes de travail ont été constitués : Climat et santé, Biodiversité et ressources naturelles, Adopter des modes de production et de consommation durables, Construire une démocratie écologique, Promouvoir des modes de développement écologiques favorables à l’emploi et à la compétitivité. A l’été 2007, deux groupes transversaux – un sur les déchets et un autre sur les OGM – étaient venus compléter in extremis cette mise en scène, cette « machine de guerre », selon les mots de Borloo, le ministre de l’écologie.
Les résultats immédiats du Grenelle se comptent sur les doigts d’un manchot, et sont directement au service de l’industrie et du développement économique, comme promis. La « promesse de ne pas créer de nouveaux sites nucléaires » n’engage à rien puisque la France dispose déjà de 58 sites [1], prêts à être équipés de nouveaux réacteurs. L’EPR [2], par exemple, s’installe sur le site déjà existant de Flamanville et le projet ITER [3] à Cadarache. D’autre part, la France signe des « accords de coopération dans le nucléaire civil » avec la Libye, le Maghreb, les Émirats arabes unis, le Qatar, la Chine, etc., et contribue donc à créer des sites nucléaires dans le monde entier, le vernis écologiste justifiant ici la relance du nucléaire à l’échelle planétaire. Les autres « engagements » vont dans le même sens : « Ne pas augmenter les capacités routières […] sauf cas de sécurité ou d’intérêt local ! », ce qui, juste avant les élections municipales, fait sourire ; « Réduire de moitié la quantité de pesticides utilisés d’ici dix ans […] si possible » (Sarkozy) ; « Renouveler intégralement le parc automobile », en taxant les voitures “trop polluantes”, autant dire les bagnoles de ceux qui n’ont pas les moyens ou l’envie de s’en payer une tous les cinq ans ; enfin, travailler à industrialiser et à standardiser encore davantage la production agricole bio, en augmenter la productivité et la capacité de distribution.
Côté « société civile », les gagnants sont les associations reconnues par l’État, dont les syndicats, CGT en tête, qui voient leur pouvoir cogestionnaire élargi au domaine de « l’environnement », du Conseil économique et social aux divers comités d’entreprise.
Hyper-responsabilisation et carotte bio
Le Grenelle de l’environnement™ a prétendu rassembler autour d’une même table représentants de l’État et de la « société civile », des entreprises aux ONG porte-parole auto-proclamées des consom’acteurs. En réalité, multinationales de l’environnement, industriels, politiciens, syndicalistes… se sont mis d’accord pour faire converger leurs intérêts. Quant aux citoyens, cette abstraction qui réduit déjà les individus à des sujets de l’État qui votent et qui participent quand on les sonne, ils n’ont eu que très peu droit de cité. Les rares moments de « consultation locale » qui devait en faire participer quelques-uns les ont mis dans la peau de candidats de jeux télévisés. A
la fin du débat, candidat atomisé, tu buzz oui ou non, mais, surtout, tu es content de participer. Comme le dit crânement Dominique Bourg, qui a lui-même dirigé un groupe de travail « chargé de réfléchir à la promotion des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi » : « Ce travail collectif d’élaboration est indispensable pour accroître la légitimité et l’acceptabilité des mesures environnementales. » [4]
Faire autant de bruit sur une pseudo-participation du quidam ordinaire permet de mettre abstraitement tous les « acteurs sociaux » sur un même plan en terme de responsabilité : individu, association, entreprise et État, tous affrontant la même adversité écologique. Car, par rapport à 1968, la période n’est même plus à la reconnaissance d’intérêts divergents et à leur transcendance par le biais de l’État, mais bien au nivellement des antagonismes, à leur négation pure et simple au moyen d’une idée positive : la participation à une grande œuvre commune, au sauvetage de la planète, à la conservation de l’espèce humaine. La lutte des classes est une nouvelle fois enterrée. Exploités et exploiteurs seraient enfin rassemblés au sein d’une grandiloquente union sacrée, face à un intérêt supérieur universel qui serait extérieur, mais commun à tous.
Outre la mystique unificatrice produite par ce mot d’ordre, l’objectif pratique est de créer une équivalence généralisée des responsabilités et donc des « gestes » que chacun peut et doit faire. Chacun, là où il est, devrait « agir pour sauver la planète ». Il s’agit une fois de plus de sauver le monde tel qu’il est et tel qu’il ne va pas. Quand ils disent : « Trie tes déchets », il y a la police des poubelles qui va avec. Quand ils disent « Velib », il y a localisation satellitaire GPS, pub Decaux, carte de crédit et Navigo qui vont avec [5]. A nouvelles obligations, nouveaux motifs de coercition, le citoyen y trouvant même matière à la morale du consom’acteur.
Quant aux contre-Grenelle du pauvre organisés ici et là, ils ont été aussi verrouillés que les discussions officielles. Les spécialistes se sont succédés à la tribune, les chiffres se sont accumulés et les salles se sont tues. On a même vu un congrès publier avant même sa tenue les actes de ses conclusions. Et, sur le fond, les décroissants les plus en vogue ont martelé encore une fois que la solution passe par la « simplicité volontaire », plus d’État et la contrainte. Comme si l’État avait besoin d’eux pour multiplier ses lois, ses règles, ses filières, ses seuils, son quadrillage. Comme si la « simplicité involontaire » n’était pas déjà quotidienne et imposée à tous les pauvres par l’économie elle-même. Le capitalisme, tout en continuant à développer les forces productives et à promouvoir le consumérisme, anticipe sur la décroissance.
La victoire de l’environnementalisme
Depuis la fin des années 1970 – si l’on considère qu’auparavant il lui est arrivé de participer d’une contestation plus générale de la société –, l’écologie a soigneusement entretenu l’idée de sa neutralité politique (« ni à droite, ni à gauche »). Obsédée par les seuls rapports de production, la lutte de classe traditionnelle n’a jamais suffisamment considéré les conséquences de la production elle-même et la dégradation du monde. En réaction, l’écologie a contribué à faire oublier les rapports d’exploitation et de domination. C’est uniquement parce qu’elle acceptait de séparer de plus en plus la « destruction de la nature » de la question sociale, sous quelque forme que ce soit, que l’écologie a fini par s’imposer dans toutes les têtes et tous les discours.
Le Grenelle de l’environnement™ marque le couronnement de la diffusion de la pensée écologiste au sein du pouvoir et le projet politique des Verts est l’un des grands gagnants des dernières élections. Travaillant à répandre la confusion à travers, notamment, la notion de « respect de l’environnement », l’écologie a gagné son pari. Choisissant de pointer démagogiquement la question du « cadre de vie » – loin des constats les plus élémentaires sur des pollutions réelles –, elle est parvenue à diffuser ses contrevérités simplettes les plus commodes à distiller, contrevérités qui épousent, bien sûr, si bien les exigences d’ordre public ou d’urbanisme anti-pauvre. N’importe
quel hyper-centre piéton de grande ville en témoigne. La pierre y est ravalée, les bancs absents ou design et volontairement inconfortables, et les pauvres et autres errants en sont chassés à coup d’arrêtés antimendicité ou anti-alcool. L’environnementalisme a en effet restreint définitivement le champ de ses revendications aux papiers gras, aux tags sur les murs, au vélo et au tramway en ville, au point de perdre de vue la critique – même la plus édulcorée – des pollutions les plus voyantes. Le plus gros mensonge étant de faire croire à une possible action individuelle sur des détails et que cette action, si minuscule soit-elle, aurait une incidence sur la réalité des désastres industriels.
Ce Grenelle consacre une vision hors sol du monde et de ses habitants ; une écologie technocratique qui ne voit plus une rivière, mais un taux de nitrate, un seuil tolérable ou non des poissons morts, bref, un ensemble de paramètres, de chiffres qui contribuent un peu plus à éloigner le réel, à l’enfermer dans des cases. On ne considère pas la totalité du monde vivant, mais des écosystèmes industrialisés dont on mesure et prétend maîtriser les intrans et les sortants. Si l’agriculture industrielle a, depuis cinquante ans, rendu les sols stériles, ce sont les biobios et autres écolos soi-disant apolitiques qui continuent d’achever ce qui restait des campagnes. Le puçage des animaux, par exemple, est la dernière étape de l’obligation faite aux éleveurs de rendre leurs bêtes « traçables » de la naissance à la mort. Or, la traçabilité constituait la revendication principale des écolos lors des dernières crises sanitaro-industrielles (grippe aviaire, vache folle, poulets à la dioxyne…), réponse sanitaire adaptée à l’organisation industrielle de l’élevage. La revendication écolo n’a produit ni plus ni moins qu’un affinement de la détection d’inévitables maladies engendrées directement par l’élevage intensif. Et la traçabilité est loin de ne servir qu’à retrouver des denrées dangereuses déjà commercialisées. Elle est surtout envisagée comme mode de « gouvernementabilité », pour rendre illicite a priori des « circulations non maîtrisables », c’est-à-dire tout ce qui n’est pas produit et échangé industriellement.
Avec ce Grenelle, on a assisté à la reprise officielle de discours promus par des structures de « protection de l’environnement » et par les entreprises qui travaillent à la promotion d’un rayonnant développement durable. L’État vient, à sa façon et quand il le décide, redonner une dimension universelle à un domaine séparé. D’une part, les ONG environnementales ont enfin réalisé leurs vœux puisque leur travail de lobbying se fixe précisément comme but ultime leur propre récupération officielle par l’État. D’autre part, les industries achèvent de soigner leur image. Le gouvernement actuel, sans doute plus finement que ses prédécesseurs, étatise une communication d’entreprise qui, depuis la fin des années 1980, agence développement économique, respect de l’environnement et prise en compte du risque industriel majeur.
Jusque dans ses formes mêmes, le Grenelle de l’environnement s’est inspiré de la « risquologie » et de ces dispositifs de concertation avec les populations pour fabriquer l’acceptation sociale d’une société véritablement cancérigène, pathogène et mortifère. La France ne fait là que rattraper son retard sur ces questions par rapport à l’Allemagne ou aux pays du Nord de l’Europe. La culture nucléaire du secret et le lobby puissant qui sévit en France depuis un demi-siècle ont longtemps été des freins à la diffusion d’un écologisme d’État, tout de façade qu’il soit.
A l’inverse, aujourd’hui, le nucléaire nous est présenté comme une solution, et non plus comme un problème. Un nucléariste serait un écologiste qui lutte contre le réchauffement climatique. N’ayant plus de luttes un peu trop virulentes à éteindre, l’État n’a plus à s’embarrasser d’interlocuteurs conciliants qui réclament une sortie en dix, vingt ou trente ans, des énergies alternatives ou une décroissance soutenue par l’État industriel. Nous en sommes là et une évidence partagée s’est perdue, celle qui animait les violents affrontements de Chooz, Vireux ou Plogoff, il n’y a pas si longtemps.
Real-écolo-politique
Décembre-février 2008 : le Grenelle et ses promesses de cogestion de l’environnement sont loin dans les têtes. Il faut passer à la deuxième phase : la discussion des lois à l’Assemblée et au Sénat. Les unes après les autres, les pseudo-victoires deviendront de vraies défaites. Pour ouvrir le bal, le projet de loi sur les OGM. Le ton a un peu changé : « On a donné une tribune et une audience à des gens qui ne représentent pas grand chose, et ils ont cru que le Parlement se contenterait d’être une simple chambre d’enregistrement ! Ce n’est pas ça la démocratie. Il y a le temps de la démocratie participative, de l’information et de la consultation de la population, mais la décision revient aux instances délibératrices prévues par nos institutions. A nous d’expliquer nos lois », balance le sénateur UMP des Yvelines, Dominique Braye.
En effet, cette loi a surtout pour objet de s’aligner sur la législation européenne en vigueur et permettre aux agriculteurs français qui cultivent des OGM depuis des années et sur des milliers d’hectares avec des semences importés de le faire légalement. Plus tant de considérations écolos là-dedans. On officialise l’existence des OGM ou plutôt, comme le dit la novlangue, leur « coexistence » avec les autres cultures. La loi repose les bases de la traçabilité des OGM, du champ au stockage en passant par le transport. Au passage, les députés discutent de la possibilité de la culture OGM dans les parc nationaux. Pourquoi pas, après tout, en attendant les Biogm !
Pour encadrer pénalement l’affaire, la loi prévoit deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros pour non-respect des distances de sécurité dans les champs, « le fait de ne pas avoir déféré à une des mesures de destruction ordonnée par l’autorité administrative » et surtout « le fait de détruire ou de dégrader une parcelle de culture autorisé ». La peine pour ce dernier délit pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Cultivateur d’OGM trop entreprenant et faucheur sont renvoyés dos à dos. Le sénateur Dominique Braye, toujours plein de bon sens étatique, déclare : « Je suis responsable d’une collectivité qui compte des quartiers sensibles, où des jeunes ont été plusieurs fois condamnés pour avoir brûlé des voitures. Je serais bien en peine de leur expliquer comment des gens qui détruisent des champs entiers, avec des conséquences bien plus graves, sont toujours en liberté, honorés, quand ce n’est pas embrassés ! » Malheureux retour de bâtons pour les faucheurs volontaires qui font pourtant tout depuis des années pour ne pas être confondus avec le tout venant de la délinquance, quitte à condamner souvent les gestes de colère des quartiers populaires. Notons au passage les jolies noms des commissions censées représentées citoyens et contre-experts au sein de l’État : « Haut conseil des biotechnologies » et « Comité de la société civile » (sic). Elles ne formulent, bien sûr, plus que des recommandations.
Écologie d’État égale capitalisme high-tech vert
Si ce Grenelle est une vaste communication d’État, il n’en correspond pas moins à une ouverture de marchés bien réels qui se créent sur des pollutions et des destructions bien réelles. Et si le capital ne se réforme plus, il trouve ainsi dans la dépollution, la valorisation de matière [6] de quoi innover. Les biocarburants, par exemple, sont présentés comme la solution miracle, arrivée à point nommé, aux gaz à effet de serre, au très médiatique réchauffement climatique et, surtout, à l’épuisement prochain des énergies fossiles. Les industries du pétrole et des OGM, dans une conjonction parfaite, ont enfin trouvé un biais pour incarner le renouveau agricole bio. En réalité, l’arrivée des biocarburants répond ni plus ni moins aux nécessités actuelles du marché : ils représentent de nouveaux débouchés pour l’agriculture industrielle en Europe et aux Etats-Unis en perpétuelle surproduction, et contribuent à discipliner économiquement les coins du tiers-monde qui ne l’étaient pas encore. Une fois encore, les questions dites environnementales et la question sociale sont étroitement imbriquées : la monoculture intensive de canne à sucre, de céréales, d’huile de palme, dynamise la déforestation, l’expropriation et la mise en salariat des paysans qui avaient conservé une capacité d’autonomie insupportable au capital. Produire des céréales pour les moteurs de bagnoles est par ailleurs devenue tellement plus rentable que remplir les estomacs des masses que les prix des denrées de première nécessité ont explosé. L’augmentation des prix du maïs par exemple a été telle que des émeutes de la faim ont eu lieu au Mexique.
Comme toujours, c’est à une fuite en avant technologique que l’on nous prépare. « Les deux pieds sur l’accélérateur face au mur », ont décidé nos gouvernants aux visages graves. Car, cette fois-ci, ils semblent obligés de croire dans la réalité de la dégradation des conditions de vie et il ne reste que quelques extrémistes comme Luc Ferry, Michel Crichton ou Claude Allègre pour continuer à noircir des pages de leur prose négationniste. Les vrais progressistes, eux, ne nient plus et, s’ils ne peuvent pas prendre au sérieux les mesures préconisées par le Grenelle, ils croient vraiment à la capacité technique des hommes à modifier notre ère géologique. Ils pensent pouvoir « créer la nature » après l’avoir détruite. Il faut, selon eux, mener une politique de grands travaux à l’échelle planétaire, voici venu le temps de la « géoingénierie ». Ils remettent un prix Nobel à un savant fou qui veut injecter du souffre dans la stratosphère pour réfléchir davantage les rayons du soleil et ainsi faire baisser la température du globe ; contre le réchauffement climatique toujours, ils jouent avec des canons à eau de mer pour blanchir les stratocumulus et renvoyer les rayons du soleil ; ils réfléchissent à la meilleure technique pour envoyer massivement des iodures d’argent dans les nuages pour les faire éclater à leur convenance ; ils veulent séquestrer le C02 dans des gisements de pétrole épuisés ou sous les océans ; ils promettent de créer génétiquement d’ici un an des structures capables de transformer du C02 en pétrole…
Des désastres au Désastre
S’il n’y a pas de solution alternative et s’il ne s’agit pas d’aménager ce monde, nous sommes loin de nier la réalité des désastres. Mais ces derniers ne sont pas plus écologiques qu’ils ne sont sociaux. L’imbrication réelle des rapports sociaux paraît aujourd’hui encore plus évidente que jamais. Dès que l’on se penche sur un problème tout le reste suit. La « question environnementale » déborde sur la « question migratoire », qui déborde sur la « question carcérale », qui déborde sur la « question sociale » et ainsi de suite, jusqu’à ne plus être des questions séparées mais une remise en cause radicale d’un monde qui se veut lui-même totalisant.
La mobilisation totale des hommes et des choses imposée par l’économie et les États est un phénomène planétaire qui n’épargne pas un arbre, pas un être. Parmi les centaines de millions d’étrangers venus peupler le monde d’autres étrangers, comment distinguer celui qui a fui une guerre de celle qui a fui une famine due à la déforestation ? Comment savoir si celui-ci a fui une catastrophe écologique ou le coup d’État qui l’a directement suivi ? Comment mesurer les désastres quotidiens de la production industrielle de masse ? Comment dissocier en leur sein la destruction des campagnes d’un licenciement de masse ? En août 2005, qui, de la « nature déchaînée », de l’État ou du monde industriel, porte la responsabilité de la destruction de la Nouvelle-Orléans et de la mort de centaines de personnes ?
Katrina est l’un de ces ouragans qui se multiplient à une allure inquiétante depuis une dizaine d’années et qui sont directement liés au réchauffement des océans. Les digues censées protéger la ville et ses quartiers pauvres surtout étaient trop petites et les ingénieurs le savaient. Les flics protègent la marchandise et les maisons des riches en tirant sur les « pillards », souvent noirs et toujours pauvres. L’armée empêche aux gens de passer dans la ville voisine, trop blanche et trop bourgeoise, et ment sur d’éventuels secours. Les prisonniers se noient dans leur cellule ou sont stockés dans de grandes cages de zoo apportés par hélicoptère. Une marée noire remonte le Mississipi et pollue le fleuve sur des kilomètres. L’État, après avoir appliqué la loi martiale, refuse toujours deux ans après de reconstruire écoles et hôpitaux. Le réchauffement climatique a lavé la ville de ses pauvres. Et la Nouvelle-Orléans ne sera plus jamais qu’un parc à thème du jazz.
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Si l’on critique le Grenelle de l’environnement aujourd’hui ou que l’on se bat contre les THT, par exemple, c’est pour tenter de soulever un peu, avec nos peu de forces et sans trop d’illusions, toute la merde qui est derrière. Nous prenons la peine et le temps de nous arrêter sur ce Grenelle du conditionnement alors qu’il est déjà loin dans l’actualité médiatique car nous refusons tout ce qu’il porte de résignation, de mensonge, de séparation et, déjà, de matraque. Parce qu’il va nous être décliné dans les prochaines années, pour les autres questions séparées qui constituent les agendas des techniciens du pouvoir : Grenelle du logement, Grenelle de la précarité, Grenelle des banlieues, Grenelle de l’insertion... Parce ce qu’il sanctionne la mise en place de formes de despotisme aggravé, à l’échelle mondiale, justifiées comme toujours par la protection que l’État est censé apporter aux individus en échange de leur subordination [7].
Paris, mars 2008.
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Collectif contre la société nucléaire
c/o CNT-AIT, BP 46, 91103 Corbeil Cedex
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