Pour une poignee de touristes en plus

Gelati, sbirri, infamie à Vintimille : Vintimille est la dernière ville au sud de la côte italienne avant la France. Depuis le rétablissement des contrôles il y quelques années, cette frontière est un théâtre permanent de drames, d’injustices, de répressions et de tentatives d’organisation. Des centaines de migrants y sont bloqués sur leur route.

Le 4 août 2016, un lieu occupé par des « sans papiers » dans la vielle ville de Vintimille a été expulsé. Les personnes à la rue se sont alors dirigées vers le poste de frontière en bord de mer. C’est à cet endroit qu’un campement de migrants s’était déjà tenu l’année dernière, de juin jusqu’à son expulsion en septembre 2015, permettant visibilité et solidarité.

Ce 4 août, la police a tenté de tenir à distance toute personne voulant les rejoindre. Vers 18 heures l’expulsion a (re)commencé. Gaz lacrymogènes, matraquage, la tension est vite monté et les migrants se sont réfugiés sur les blocs de pierre du bord de mer. Acculé, l’un d’eux s’est jeté à l’eau pour tenter de passer la frontière à la nage. Suite à quoi, dans la panique et la violence policière, environ 200 personnes réussissent à passer côté français. La chasse à l’homme commence. Nasse à Menton, et côté italien pour ceux n’ayant pas pu passer ; la plupart des migrants sont arrêtés et ramenés soit au camp de la Croix Rouge (situé en périphérie de la ville de Vintimille), pour ceux ayant donné leurs empreintes en Italie ou parce qu’ils sont blessés, soit en centre de rétention, aménagés précairement dans des algecos au poste de frontière sur la nationale qui longe la falaise, situé juste au dessus. Des personnes venues en soutien sont alors arrêtées et condamnées à cinq ans d’interdiction de territoire pour avoir donné de l’eau ou une pomme à des migrants, lorsqu’ils se trouvaient sans rien en plein soleil de cette côte d’azur prisée des touristes qui continuent de circuler, eux, au milieu du dispositif policier.

Pour échapper à cette traque un soudanais a sauté sur les rails de train qui longent la nationale, il s’y blessa gravement. De nombreux autres migrants souffraient de blessures suite aux coups de la police, nous témoigne un médecin appelé en urgence au camp de la croix rouge le lendemain. C’est dans ce contexte que nous sommes venus à bord d’une ambulance associative. Appelée en soutien au vu de la gravité de la situation estivale, prévoyant le renfort de la répression due à la pression touristique et politique du moment, nous étions venu proposer des soins en tant que secouristes et infirmiers, pour les migrants. Les déclarations de guerre aux migrants se sont en effet multipliées cette année, la maire de Vintimille affirmant ainsi clairement vouloir nettoyer la ville et éviter à tout prix un nouveau Calais. Nous savions aussi les contreparties demandées par la Croix Rouge pour accéder aux soins : fichage, prise empreintes digitales, couvre feu...

 Lorsque nous arrivâmes, la police bloquait l’accès au camp No border, organisation de lutte contre les frontières et de soutien au migrants. Ce camp était installé sur une des collines environnants la ville. Trois voitures de police nous barraient le passage afin de nous arrêter. Ils nous obligent à les suivre et nous emmènent d’abord sur un pont périphérique, nous maintiennent assis au sol et fouillent le véhicule. Une autre voiture est arrêtée au même moment et ses passagers se retrouvent dans la même situation. Plusieurs fourgons et voitures de police nous encerclent. Ils craignent une manifestation. Au loin on entend en effet des slogans aux abords du camp de la Croix Rouge, affirmant solidarité et colère.
Les policiers paniquent, se casquent, se mettent en ligne. Ils nous insultent et s’excitent. Ils gueulent  : « Vous soignez qui ? Des migrants ? ». Nous sommes ramenés au commissariat : « Vous soignez les migrants ? ». Cette question revient à plusieurs reprises, c’est donc apparemment ce qui nous serait reproché. Nous restons plus de cinq heures au poste où nous sommes fichés.
Une personne est dans la même cellule que nous, arrêtée côté français en train de marcher avec un groupe d’une cinquantaine de migrants, elle se retrouve fichée aussi et condamnée à cinq ans d’interdiction de territoire. L’ambulance laissée aux mains de la police est retrouvée avec les pneus crevés.

 Le lendemain la répression continue : contrôles sur les routes avec fouille des véhicules, dans l’après-midi le freespot (lieu dans la ville qui recueille des dons pour les migrants) est perquisitionné. De nombreuses personnes sont arrêtées et reçoivent des interdictions de territoires, certain surpris en train de manger une glace, ou suite à un banal contrôle sur leur retour de vacance. Une cinquantaine d’interdiction pour cinq ans du territoire italien sont ainsi délivrées arbitrairement.
Dans les journaux la criminalisation des No border fait les gros titres, justifiant des dispositifs de police jusqu’à 40km de la ville pour empêcher une manifestation appelée le 7 août pour protester contre les frontières et la répression.

Dur contraste entre le centre ville touristique en fête de Vintimille, et les dessous du pont de l’autoroute quittant la ville, où attendent des dizaines de migrants. Deux réalités côte à côte séparées par des fourgons de police. Fatigue et maltraitance du voyage, errance, attente, c’est ainsi que la frontière se matérialise. On pourrait s’en foutre, en rire ou écrire de la science fiction, mais tout cela est bien réel. Ce qui est bien réel aussi et qui doit rester en mémoire de ces premiers jours d’août, c’est ce courage de partir ensemble à 400, défier l’indifférence et la frontière.

Nous publions tardivement ce texte car nous attendions des précisions sur le sort des migrants arrêtes ce jour là, ayant entendu des rumeurs (non confirmées) de charters vers Lampedusa. Par contre 48 soudanais arrêtés à Menton et refusant de donner leurs empreintes au camps de la croix rouge ont étés renvoyé par avion au Soudan.

Il nous semble important de le partager car la question de la solidarité ne cessera de se poser face l’état d’urgence décrété en France comme en Italie, et aux opérations militaires, menées à l’extérieur. La France, qui bombarde actuellement la Syrie depuis septembre et l’Irak depuis 2004, est un des premiers pays exportateur d’armes. Dans cette guerre militaire et économique, les frontières se militarisent également, des murs s’érigent autour et dans l’Europe. Beaucoup de ceux qui tentent de rejoindre « la terre d’asile » meurent ou subissent des violences et l’exclusion. L’accès au soin pour les personnes « sans papiers » est limité et controlé et il nous semble important et urgent de constituer un réseau de personnes et de structures répondant à ces besoins.

C’est dans cette perspective qu’en tant que membres de l’ambulance partisane, nous affirmons notre soutien matériel à ceux qui subissent ces dispositifs et ces violences et invitons à les combattre, comme à imaginer toutes formes et initiatives allant dans ce sens.

A lire aussi...