« Elle est raide la pente pour monter à la Plaine et pourtant, tous les jours, on trouve une bonne raison de gravir la colline ». Ce quartier, pour ses habitants et ses habitués, est avant tout un lieu de rassemblement. On y va pour se rencontrer, partager un moment, chiner, boire un verre, danser. La vie y grouille, les regards se croisent, se sourient. Parfois ça crie, ça s’embrouille. Des anciens aux minots, des classes pop aux bobos, des gens d’ici ou de là-bas, tous s’y côtoient dans une ambiance conviviale. En place publique , un sentiment d’appartenance unique rallie le peuple à ce quartier des plus emblématiques. Le tableau semble idyllique, oui mais...
Fin 2011, tout bascule quand les caméras de surveillance débarquent. Avec pour volonté affichée d’anéantir cet espace de liberté populaire en plein cœur de la ville. La zone passe sous contrôle. Faits et gestes gravés dans la boîte noire. Pour les habitants, il s’agit là de l’acte de trop, celui qui fait déborder le vase, celui qui pousse à la résistance. Trois d’entre eux décident alors d’agir. Leur action se veut pacifique et des plus démocratiques. Ils sentent que l’apparition des caméras ne sera pas sans reste pour l’avenir du lieu. Et craignent que cela ne soit que les prémices d’un changement radical de l’esprit de la place.
Ces habitants engagés dans la lutte publient alors un pamphlet pour dénoncer cette « plaine sous surveillance » qu’on leur impose. Leur écrit contestataire interroge sur les raisons de la dérive sécuritaire et invite les habitants et habitués du lieu à s’exprimer : « Bien sûr on pourrait attendre que les caméras pourrissent et que les patrouilles fatiguent. Mais on peut aussi dire non ». L’assemblée de la plaine voit le jour. Une assemblée qui se veut ouverte, indépendante de tout parti et de toute institution. Bruno, un des initiateurs du projet, assume que le pari est audacieux, ambitieux même.
En créant un espace de débat populaire, qui reflète l’hétérogénéité du quartier, ils souhaitent fédérer autour d’intérêts collectifs. « Outre des réunions publiques et des actions de dénonciation, nous pensons qu’aujourd’hui l’enjeu principal est de multiplier les occupations festives et conviviales de l’espace public ». Se rallier au carnaval indépendant de la Plaine, qui existe depuis 1999, était du coup une évidence. C’est d’ailleurs l’événement qui mobilise le plus au sein de l’Assemblée. Perdurer le carnaval, c’est déjà en soit résister. Car maintes fois la municipalité a tenté de l’étouffer, de le faire dégénérer. En vain. Ce rassemblement festif survit, malgré les pressions policières.
Depuis cet été, l’Assemblée tente de rassembler autour de la question de la réhabilitation de la place. La mairie, qui a depuis longtemps délaissé les espaces publics du quartier, souhaite aujourd’hui tout rénover. Pour la modique somme de 11,5 millions d’euros entend-on dire, ils annoncent vouloir « requalifier » le lieu. Les habitants grondent. Pour eux, ce projet représente une vraie menace. Celle de voir disparaître le marché, la vie de quartier, la convivialité, l’essence même du lieu en somme. Dans les esprits plane le souvenir de la Joliette avant Euroméditerranée, du vieux-port avant 2013. Et personne n’est dupe.
La réhabilitation de la plaine ? Sur le papier un projet qui devrait durer 30 mois si les travaux n’ont pas de retard. 30 mois pendant lesquels tréteaux et auvents vont céder la place aux grues et palissades. Pour Bruno « La place en chantier pendant 30 mois cela représente beaucoup d’enjeux. Les commerces vont en souffrir, les forains vont être expulsés. La dynamique vivante du marché va être stoppée, au risque de ne jamais reprendre ensuite. Ajoutée à cela la disparition probable des bancs à la suite des travaux ! ». L’Assemblée de la Plaine, en lien avec les forains, souhaite réagir et unifier autour de la défense d’un quartier « comme on le veut ». Ici le sentiment d’appartenance est fort, c’est le lien fédérateur de cette Assemblée d’irréductibles qui ont espoir de faire reculer la mairie sur l’essentiel de leur projet de réhabilitation.
La résistance se met en place donc. L’enjeu est de lutter contre l’usage superficiel et non populaire que les élus veulent faire de la ville. Par le débat publique en premier lieu. Mais pour la suite « Tout est à créer ensemble ! ». Faire ensemble, c’est l’ambition que s’est donnée cette Assemblée sans chef, au fonctionnement horizontal. Ouverte à tous, elle souhaite mobiliser un maximum de monde et faire entendre la voix du peuple. Un moment fort est annoncé le 26 novembre prochain, date de la première réunion publique de concertation. Un appel à rassemblement est lancé pour cette journée, devant un lieu symbolique, le parvis du conservatoire. Les habitants et habitués du quartier se souviennent qu’il y a peu encore, les bouquinistes occupaient l’espace. Avant qu’ils ne soient délogés et remplacés par quelques voitures stationnées à la sauvage sur un espace minéralisé devenu vide.
Pour ne pas voir se répéter l’histoire, l’Assemblée s’organise. Chargée d’espoir elle entre en désobéissance civile. Pour le maintien d’un idéal, pour la survie d’une âme.
Prochaine réunion publique lundi 9 novembre à 18h à la Dar Lamifa, 127 rue d’Aubagne.
Plus d’infos :page facebook de l’Assemblée la Plaine