Titan policier au cours Ju

Dimanche 9 août, le Videodrome 2 jouait un film sur le cours Ju, un film hollywoodien sur la mythologie grecque. L’histoire est banalement dominante et attendue mais un autre film se situant derrière l’écran va se mélanger au premier, c’est la joie du plein air !

Dimanche 9 Août, le Videodrome 2 jouait un film en plein air sur le cours Ju, un film hollywoodien sur la mythologie grecque. L’histoire est banalement dominante et attendue : un héros viril et ses compagnons viennent voler la toison d’or – signe de connaissance et de prospérité – à un peuple lointain où les personnages féminins servent de relais émotionnel. Bien que le ronronnement de la pellicule invite à se laisser embarquer par la narration mélodramatique, le vent souffle légèrement dans la toile, régulièrement l’image se floute et nous désengage. Cet instant de distanciation si typique des projections extérieures, nous permit d’assister à une autre scène qui se déroula derrière l’écran, et nous devenions les spectateurs d’un double film, l’un américain, l’autre marseillais. Un jeune homme portant le t-shirt de l’OM et un chapeau de paille, bord relevé à la façon des cangaceiros du Sertao brésilien, est interpellé sans motif par trois poulets masqués se baladant en liberté sur la place. Avec ce spectacle moderne j’oublie immédiatement les Argonautes et me lève brusquement, seul, je viens me positionner devant les keufs pour faire un semblant de pression. Le type ne se laisse pas faire et, bousculant le scénario, engueule un des trois flics en lui demandant des excuses pour le coût de matraque gratuit. Quelques personnes jettent un œil furtif mais la plupart ont braqué leur regard sur l’écran et se force à ne pas voir cette si banale opération de maintien de l’ordre. Ici aussi l’histoire est entendue, les flics mettent la pression, jouent les volantes et un d’eux se met en face de moi balançant sa gazeuse à main. Je pense au premier film et au Titan contre lequel Hercule est impuissant et que Jason abat grâce à sa ruse, puis je regarde notre Titan dans les yeux – l’institution policière – et je me demande où est son talon d’Achille. La réponse n’est pas évidente et ce n’est apparemment pas les touristes qui m’aideront à y répondre. Quelques minutes après, dans l’indifférence générale, un régiment d’une vingtaines de flics passe sans un bruit dans la rue. Retour en 1940. Comment en est-on arrivé là ? Quelques centaines de mètres plus loin, plusieurs camions de CRS sont stationnés sur la plaine. Tous les jours ils imposent leur présence, occupent la place et de là-bas partent patrouiller dans tout le quartier. Là encore c’est un autre film, la bataille de la plaine, deuxième épisode. Une histoire connue également, celle de la gentrification, de l’occupation militaire dans le plus pure style colonial : des dizaines de flics occupent un territoire hostile pour mettre la pression aux opposant.e.s, nettoyer la place des « incivilités », toujours au profit des aménageurs et de leurs nouveaux clients. Plus largement, il s’agit de nous habituer à leur présence, les rendre nécessaire là où l’on s’en passais parfois et s’assurer des « surveillances de proximité ». Le procédé est lambda, que l’on pense à l’Algérie Française ou à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, on retrouve la brutale occupation du terrain par les forces de l’ordre. Mais dans les deux cas, l’histoire nous enseigne aussi la résistance à la répression et la victoire (au moins partielle). Dans les deux cas, malgré les souffrances – et toutes proportions gardées – tenir une telle position statique est un moment de vulnérabilité pour l’armée d’occupation. Ne serait-ce pas là une piste de réflexion pour les Jason.n.e.s devant notre Titan ?

Sans forcément avoir recours à une guérilla comme celle du FLN il est possible, à la mode zadiste, et même non-violente, de rendre intenable la position des keufs. À nous de redoubler d’imagination, de penser à toutes les nuisances sonores, olfactives, visuelles, à toutes les petites mesquineries, les tensions inutiles et les surprises. La lutte qui s’articule autour de cette position c’est celle du territoire, l’urgence est d’empêcher qu’ils prennent l’habitude d’être sur nos places, éviter qu’ils aient confiance dans leur présence et dans leurs techniques. Parallèlement cet aspect concret et immédiat entraîne d’autres questions, comment lutter contre une gentrification galopante ? (dont la théorie unitaire reste à écrire), comment éviter la colonisation des imaginaires par l’idéologie sécuritaire ? Comment relier ces questions à celles soulevées par l’éphémère Black Lives Matter – ou par une critique de la dictature sanitaire etc. – ?

Alors, la projection du film Jason et les Argonautes prend tout son sens, et pour une fois les effets spéciaux anachroniques ne sont pas juste un atout snob, ils délivrent l’envers du décors, les malversations de l’Olympe, les maquettes des studios hollywoodien, la petitesse des géants : le Titan sorti des années 50 paraît complètement ridicule, « ah, mais ce n’était qu’une maquette en papiers mâché ! », disons nous avec le recul. Cependant, les spectateurs des deux films – celui des Grec.ques américanisé.es ou des Marseillais.es gentrifiées – restent à convaincre, de la nécessité absolue d’une telle lutte, pour la défense de nos quartiers (et de nous-même bordel !). Pour cela on peut penser à plein de choses, allant d’une pression polémique et idéologique sur la mairie de soi-disant « gauche » à des organisations de copwatching et d’auto-défense. Mais l’on peut aussi mettre assez facilement en place au Videodrome des conférences et des débats sur la présence policière entre deux films plein air (si possible anti-flic. Merci.)
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