Retour sur la manifestation de la Plaine sous le soleil

C’est sous une chaleur accablante qu’un peu plus de 200 personnes se sont réunies ce samedi 17 juin pour participer à la manifestation contre le projet de restructuration de la Plaine, quartier emblématique qui est traversé depuis plusieurs années par des dynamiques de reprise en main de leur environnement par les habitant-e-s elles et eux-mêmes.

La manifestation était appellée à 14 heures, en ce samedi de chaleur extrême. Sous les barnums installés sur la place pour créer un peu d’ombre, c’est une véritable fournaise. Peu de gens semblent s’être déplacés pour l’occasion. Même la personne dépêchée par la Provence pour écrire un article sur la journée semble bien mal en point.

Mais quand tout se met finalement en branle, après quelques dizaines de minutes de retard, c’est finalement un peu plus de 200 personnes qui vont défiler. En tête, de grands cercueils arborant les noms de la Soleam [1], d’Euromed ou de la mairie. Ce seront nos destinations.

Pendant ce temps, le Préfet de police des Bouches-du-Rhône interdit "toutes les manifestations sur la voie publique dans la rue Navarin [...] de 13h00 à 19h00" [2], sûrement de peur que la manifestation n’aille rendre une petite visite aux locaux de l’Action Française, groupuscule d’extrême-droite royaliste fort peu apprécié dans le quartier [3]. Mais non, pas cette fois. Autre chose est prévu pour cette journée.

Toute la semaine, la Plaine s’était mise en fête. "L’Or de la Plaine", festival organisé par et pour le quartier, dure déjà depuis le samedi précédent. Les spectacles ont accompagné les repas, les concerts ont répondu aux matchs de boxe populaire antifasciste, les rires des minots devants les marionnettes ont résonné avec les chants des chorales ou autres groupes. Et ces chants ont continué lors de cette avant-dernière journée de festival, dans lequel s’inscrivait cette manifestation.
Il s’agissait de ne pas faire de cette semaine de simples épisodes de consommation de la place, mais aussi des moments de contestation et de revendication. Se rencontrer, se connaître un peu mieux dans le quartier, pour pouvoir réfléchir ensemble et surtout vivre ensemble notre quartier. Car aucun aménageur ne peut savoir mieux que les habitant-e-s ce dont ces dernier-e-s ont besoin. Ce dont les aménageurs, Gérard Chenoz en tête, souhaitent pour ce quartier, ils l’ont dit eux-mêmes. Faire monter en gamme la population et les produits du marché, faire venir les touristes, proscrire les "usages déviants" de la place [4]. Et donc, immanquablement, à plus long terme, priver le quartier de ses habitant-e-s. Ou le contraire. Ou plutôt les deux.

C’est pourquoi ces chants qui ont résonné dans les rues ce samedi affirmaient ceci : "On est ensemble, on est la Plaine, et la Mairie et la Soleam nous font de la peine", ou encore "Nous sommes tou-te-s des enfants de la Plaine". Et que le tract explicatif s’intitulait "A nos ennemis", adressé aux aménageurs. Que les nombreuses banderoles arboraient des phrases telles que "La Plaine ou Rien", "La Plaine contre les projets de la Soleam", "Vos chantiers tuent nos quartiers" ou encore une autre rappellant aux touristes leur rôle plus ou moins indirect dans cette évolution.

En redescendant la rue d’Aubagne à travers Noailles, celles et ceux qui voient passer le cortège le comprennent bien : "Vous avez raison de faire ça. Ils veulent faire la même chose ici avec le marché des Capucins, qui va disparaître. C’est vrai qu’il y aurait besoin de plus de propreté, mais ça, ça ne les intéresse pas. C’est juste l’argent qu’ils veulent", nous confie une habitante de la rue qui s’est arrêtée pour offrir des cigarettes à quelques manifestant-e-s. Difficile de lui donner tort en voyant les panneaux sur l’ilôt des Feuillants : "Une Canebière pour tous les Marseillais", déclament-il avec fierté. "Brasserie de luxe, Hôtel 4 étoiles", affichent-ils juste à côté. Le "tous" devient subitement un peu plus restreint dans ce quartier qui est l’un des plus pauvres de France.

Devant la Soleam

Presque juste en face de cet ilôt des Feuillants se trouvent les bureaux de la Soleam, vers lequel la manifestation avance jusqu’à buter sur une rangée de CRS venue protéger les lieux. On y dépose les cercueils, on y chante, de nombreuses affichettes sont collées et des prises de parole ont lieu. Après un petit quart d’heure, direction le Vieux-Port et la mairie de Marseille pour y faire la même chose, sous les yeux des cars de touristes et des marchés "typiques" de souvenirs. La même chose se reproduit, puis on repart, toujours sous le soleil, le soleil de la Plaine qui nous accompagne, pour regagner nos hauteurs.

La mairie couverte des banderoles

C’était une belle manifestation. Espérons que l’auto-organisation du quartier progressera et qu’enfin, d’ici peu, la Commune Libre de la Plaine deviendra réalité. C’est tout ce qu’on lui souhaite.

Notes :

[1La structure chargée de la restructuration de la place, mais aussi de celle de l’ilôt des Feuillants à Noailles, largement contesté lui aussi, ainsi que d’autres à Marseille.

[2Arrêté de la Préfecture de Police des Bouches-du-Rhône, émis le 16 juin 2017. Lire à ce propos un article de La Marseillaise.

[3Voir notamment les manifestations du 8 octobre 2016 ou encore la destruction de leur local la soirée du 16 avril 2016 pour s’en faire une bonne idée.

[4S’asseoir sur les bancs pour y traîner ses pensées, se créer un terrain de football entre les voitures, partager sans rien attendre, ne pas avoir de rapport ’productif’ à l’espace dans lequel on évolue...

PS :

Merci à "David Escalier" pour les photos.

A lire aussi...