Cet été, la fermeture de la frontière franco-italienne aux personnes migrantes est renforcée à Vintimille. Suite à cet événement, des gens, à Marseille et ailleurs en Europe, se sont organisés [1] afin de faire passer le plus de monde possible en France. Un des passages de cette migration est Marseille. Il ne s’agit bien souvent que d’une étape, les gens préférant migrer vers le Nord avec notamment Paris, puis Calais comme étape et l’Europe du Nord comme destination. Mais certaines personnes restent en France, notamment à Marseille.
Dans la ville phocéenne, les gens sont d’abord accueillis de manière à peu près inorganisée durant l’été, puis, fin août se constitue un collectif se réunissant en assemblée, le collectif "Soutien Migrants 13". Il est composé de personnes migrantes et de gens en soutien et/ou en lutte notamment contre les frontières. Son fonctionnement tente d’être horizontal, ce qui n’empêche pas qu’il s’agisse d’un espace loin d’être parfait. Dans un souci de lutter, non pas pour mais plutôt, avec les gens directement touchés par la répression, des traductions sont effectuées pour les assemblées, ainsi que pour certains textes.
Plusieurs dizaines de personnes [2] de Marseille, et parfois des régions autour, s’assemblent une fois par semaine, d’abord les lundi à 19h, puis les mardi à 19h. Rapidement un squat est ouvert, par plusieurs personnes de groupes affinitaires, au 180, rue Horace Bertin, dans le 5°. Il s’agit d’une ancienne carrosserie, à laquelle s’ajoute un petit immeuble sur trois niveaux. Il est proposé au collectif comme lieu d’organisation et devient Al Manba [3]. Personne n’y habite, mais des gens qui arrivent dans la ville, souvent depuis Vintimille, y passent, des fois y dorment, et les activités du collectifs s’y déroulent. Le lieu passe très rapidement en procès mais fini par bénéficier d’une tolérance vis-à-vis de la trêve hivernale.
Afin d’essayer d’avancer un peu plus, des groupes de travail issus des assemblées se créés et se réunissent une fois par semaine, avec souvent un téléphone pour chacun pour gérer les urgences ; commission hébergement, communication, thune (et soirée de soutien), Vintimille (internationale), juridique... Ils se réunissent au squat en dehors des moments d’assemblées. Il s’agit du plus gros du travail quotidien du collectif, les commissions étant souvent sollicitées. Besoin d’aller chercher une personne à la gare, de l’héberger, de l’accompagner dans ses démarches administratives ou face au centre de rétention...
Quelques actions sont menées – ou plutôt essayent d’être menées – et trois manifestions sauvages ont lieu, notamment deux devant le centre de rétention du Canet. Des collectes de fringues, de bouff’ et d’argent sont faites pour les besoins à Marseille mais aussi à Vintimille – notamment au Presidio "No border", qui se fait expulser en octobre –, ainsi que de l’information et des tables de presse. Plusieurs concerts et bouff’ de soutien, ainsi que des friperies à prix libre ont lieu dans Marseille, pas forcément organisés par le collectif, bien qu’une partie de l’argent récolté lui soit reversé pour ses activités. Une mutuelle est créée pour les personnes faisant leur demande d’asile à Marseille et afin d’essayer de palier à l’absence de thune pendant l’attente. Pour celle-ci, il y a notamment 30 % de toutes les entrées dans la caisse collective qui y partent directement.
L’assemblée s’inscrit, à minima, pour le soutien des personnes migrantes face à la répression et pour l’ouverture des frontières. Elle se positionne dans guère beaucoup plus vu sa pluralité politique [4]. L’action dite humanitaire est critiquée dans le collectif et garde aussi un lien assez étroit avec les tendances "No Border". Celui-ci organise même une rencontre contre les frontières du 20 au 22 novembre, profitant d’un week-end de soutien [5] pour inviter des groupes de France et d’Europe à discuter, à s’organiser et à manifester le samedi 21 novembre à Marseille. Une nouvelle rencontre aura lieu encore à Marseille.
Malgré tous ces points plutôt intéressants, le collectif a quand même du mal à créer un rapport de force et à sortir du squat et des revendications immédiates, c’est-à-dire au-delà du cas particulier des personnes migrantes qui se mettent en lien avec le collectif. Ce qui est déjà pas mal en vérité. Parfois, il y a un manque de monde actif malgré l’affluence en assemblées. Celles-ci peuvent parfois plomber vu le contexte dans lequel elles se déroulent. Il est vrai aussi qu’entre longueur des discussions, retard, urgence, traduction, positions politiques divergentes, soucis d’horizontalité et de consensus..., il est plus compliqué de s’organiser. Mais la preuve de l’intérêt des caractéristiques de ce collectif est le fait que les assemblées se tiennent toujours avec pas mal de monde. Il reste quand même vrai que l’on peut s’étonner du peu de monde [6] dans une agglomération de plus d’un million de personnes.
Un autre point à critiquer est le fait, comme c’est récurrent sur ce genre de thématique, que les personnes concernées en priorité par des histoires de migrations réprimées sont loin d’être parmi les personnes motrices dans cette lutte. La barrière de la langue et l’absence de traduction dans les groupes de travail sont une partie des causes mais cela n’explique pas tout. Il y a aussi un certain esprit du pragmatisme qui plane parfois au dessus des assemblées. Il prend un peu tout le monde à des degrés plus ou moins différents et bloquent certains fonctionnements et débats, – notamment des réflexions de fond sur ce qu’on fait – au profit d’une soi-disante efficacité. Sûrement aussi que des comportements, voire des idéologies, paternalistes peuvent être responsables de la situation, même si les manifestions de ceux-ci sont largement attaqués en assemblée.
Il y a d’autres questions à se poser dès maintenant à mon avis : Quelles sont les perspectives de ce qui est en train de se passer et comment anticiper sa fin afin de pérenniser, sur Marseille et ailleurs, une dynamique collective, horizontale et autonome contre les frontières et les divers processus qui les créent et les gardent férocement ? Comment passer, théoriquement comme pratiquement, du mot d’ordre d’ouverture des frontières, à celui de suppression des frontières et ce que cela implique ; c’est-à-dire l’attaque du monde qui les mettent en place ? Comment faire pour continuer à garder des liens physiques et offensifs ? ; pour que l’hiver, sa diminution des migrations, et l’état d’urgence ne séparent pas les gens, laissant à nouveau seuls les associations, l’esprit citoyenniste et paternaliste, et les institutions étatiques s’accaparer pratiquement et politiquement de cette thématique de la migration ? Autant de questions qu’il est nécessaire, selon moi, de discuter dans le cadre du collectif, ou en dehors de celui-ci.
Suite aux attentats de novembre, l’état a mis en place tout un tas de dispositifs répressifs dans le cadre de l’état d’urgence. Il est bien entendu que le renforcement de la fermeture des frontières – le troisième, après celui de cet été, puis celui pour la COP 21 – touchent en premier lieu les personnes qui se déplacent vers la France et rendues illégales par elle et l’Europe. Il est évident aussi que parmi les personnes les plus affectées, par les perquis, assignations à résidence et autres, sont encore celles-ci, les musulmans plus particulièrement. Et il est clair aussi que dans les discours haineux de l’extrême droite (et autre), ainsi que dans les jeux électoraux de ces dernières semaines, ce sont toujours ces mêmes personnes qui en pâtissent plus que les autres.
du collectif "Soutien Migrants 13"
Marseille, décembre 2015