Elles sont là. On les a aperçues, notamment dans le 3e arrondissement parisien. Elles, ce sont les trottinettes en libre-service de la startup californienne Bird. Le principe ? Le même que pour les vélos Indigo ou Gobee : l’usager peut déposer sa bécane n’importe où dans la ville, les autres utilisateurs sauront la retouver grace à la géolocalisation et une application dédiée. Le plus de Bird ? Ses trottinettes sont ramassées entre 21h et 5h pour être rechargées, car elles sont électriques . Ces petites machines sont devenues des stars outre-atlantique, où elles bénéficient même d’un grand concours transcontinental de... haine et de destruction.
Les meilleurs ne croient plus à rien,
tandis que les plus vils s’emplissent de passions.
De grandes nouvelles certainement s’annoncent.
W.B. Yeats, The second coming
Your fleet is lost...
Quand les trottinettes en libre-service Bird et Lime sont arrivées sur les trottoirs parisiens on a immédiatement pensé au précédent Gobee.bike. Ces vélos en libre-service avaient été victimes de leur succès et de l’esprit taquin des Français. Certains utilisateurs avaient mis un point d’honneur à tester la résistance des vélos en toutes circonstances. La société hongkongaise avait rapidement remballé ses pimpants biclous et persiflé sur les mauvaises manières françaises. S’étant retiré de Lille, Reims, Lyon et finalement Paris elle avait dénoncé un "effet domino" de dégradations qui se serait "abattu sur [sa] flotte de vélos", entrainant ainsi des "destructions de masse". "En quatre mois, 60 % de notre flotte a été détruite". En chiffre : 3200 vélos dégradés et 1000 "privatisés".
Pour expliquer cet échec retentissant, on évoquait des différences culturelles, tel ce sinologue cité par Numerama : « En Chine, malgré ce que l’on pourrait penser, vous n’avez pas ce milieu social marginalisé qui va volontairement dégrader les choses." On se souvenait aussi des débuts du Velib’, qui avait très rapidement subi vols et dégradations. Un responsable de JCDecaux rappelait le savoir-faire des francophones en la matière : « La France est le plus mauvais élève [...] Nous avons plus souffert à Paris que dans toutes les capitales mondiales [...] Le seul autre marché où le vandalisme est aussi un sujet est Bruxelles mais dans des proportions sans commune mesure »
Pourtant les Etats-Unis semblent en passe de rattraper leur retard en matière de vandalisme-de-deux-roues-en-libre-service. Certes dans une catégorie un peu différente : celle des trottinettes. Si la société Bird peut se vanter d’un développement ultra-rapide (l’entreprise enchaine les levées de fonds de plusieurs centaines de millions de dollars), son déploiement agressif dans une trentaines d’agglos américaines a suscité un certain nombre de réactions... hargneuses.
Ce type de phénomène n’a donc rien de nouveau, on l’a vu avec les cas de Gobee et Velib’ en France, mais on aurait pu citer les déboires de oBike à Zurich ("des vélos jetés dans le lac, des freins coupés ou des codes Q/R masqués pour les rendre inutilisables", selon un responsable de la marque), ou du service municipal de Baltimore (qui a tenu moins d’un an). Mais la vague de dégradations qui touche les Bird a un truc en plus. Ce truc c’est un compte Instagram,le cimetière des Bird : https://www.instagram.com/birdgraveyard/
Burn the Bird
Dans le Spectacle, le Parti Imaginaire n’apparaît pas comme fait d’hommes, mais d’actes étranges, au sens où les entend la tradition sabbatéenne. Ces actes eux-mêmes n’y sont cependant pas liés entre eux, mais systématiquement tenus dans l’énigme de l’exception ; on n’aurait pas idée d’y voir des manifestations d’une seule et même négativité humaine, car on ne sait pas ce que c’est que la négativité ; au reste, on ne sait pas non plus ce que c’est que l’humanité, ni même si cela existe.
Thèses sur le parti imaginaire, Tiqqun
On pourrait considérer que c’est anodin – c’est finalement une manière très américaine, ou contemporaine de se rapporter aux événements : en les instagramant. Mais ce compte a semble-t-il permis trois choses : de transformer le phénomène en mode ; de rendre compte de la diversité d’expression du ressentiment à l’égard des Bird ; et de comprendre, un peu, les raisons de ce ressentiment.